Autour d'Ecuras. Journal d'Histoire locale, monuments, folklore.
Par Mme Fils Dumas-Delage. ISSN : 1153-0014. Tous droits réservés
No 9, Octobre 1991
- LE MOBILIER D'UNE FERME LIMOUSINE AU 19ème SIECLE -
A partir de l'étude d'actes notariés dont les plus intéressants sont des inventaires après décès, mais aussi des ventes ou partages de meubles, des déclarations de mobilier établies pour éviter toute contestation quand de vieux parents allaient s'installer chez l'un de leurs enfants, ou bien quand un jeune couple s'installait chez les parents de la ou du mari, nous avons pu dresser un descriptif assez riche des intérieurs paysans limousins au 19ème s. Ces actes notariés provenant de Massignac, de Saint-Adjutory, de Mouzon, de Chasseneuil, de Verneuil, de Lézignac-Durand, de Roussines, du Lindois etc ... sont plus ou moins laconiques, certains notaires livrant une profusion de détails descriptifs, alors que d'autres se contentent de mentions trop globales; ces actes concernent aussi bien des intérieurs paysans riches que très modestes. Accompagnons le notaire dans l'une de ces fermes. Le plus souvent, il n'existe qu'un seule chambre basse, parfois deux, mais claires; pas de plancher, mais un sol de terre battue quelquefois améliorée de carreaux de terre cuite, notamment à l'emplacement du lit et devant l'évier; jamais de dallage de pierre. Le crépi intérieur des murs est passé la chaux, et le plafond peut l'être également, encore que ce soit très rare. La poussière et la fumée de la cheminée noircissent rapidement ces intérieurs. Ce qui frappe les observateurs, c'est un surprenant entassement de meubles, d'objets utilitaires traînant un peu partout, tant par terre que sur les meubles, et que sur des étagères accrochées au plafond d'où pendent aussi des paniers, des jambons, des morceaux de lard etc. Qu'il y ait une seule pièce ou deux ou trois, elles sont toutes meublées de lits, de coffres, de vaisseliers, car il n'existe pas de se. séparation d'usage entre elles. Les inventaires commencent soit par la cheminée, soit par la table. Nous réserverons à la cheminée une étude particulière, tant son mobilier est riche, et inséparable de traditions culinaires qui méritent elles aussi une vocation spéciale.
LES MEUBLES
LES BOIS UTILISES
Le NOYER était recherché et on le rencontre plus fréquemment dans les meubles paysans de la Charente que dans ceux du Limousin où il donnait un bois de pauvre qualité. Le meuble de noyer est déjà celui du paysan aisé.
Le CHATAIGNIER est méprisé et ne servait que dans la construction des maisons et à la confection de l'outillage agricole.
Le CHENE avait perdu son prestige au 19ème s. alors que l'on peut rencontrer de très rares et beaux meubles de chêne datant des 17ème et 18ème s.
Le CERISIER ou MERISIER est le bois de menuiserie par excellence au 19ème s. Parfois, il était fourni par le client. Il représente environ 80% du bois employé dans le mobilier paysan
Le SAPIN ne fut guère utilisé que pour faire les caisses d'horloges. Par ailleurs, on mêlait souvent des bois différents pour fabriquer un meuble. C'est ainsi que l'on peut rencontrer des mélanges de cerisier et de noyer mariés soit dans un but décoratif, soit après une réparation.
LES STYLES
Le style Louis XIII est rare, encore que l'on trouve dans certaines fermes des pièces authentiquement Louis XIII dont l'origine n'est sans doute pas paysanne. De plus, on a continué à faire du Louis XIII au cours de tout le 18ème s.
Le style Louis XIV est tout aussi rare, et lui non plus certainement pas d'origine paysanne, sauf rares exceptions.
Le style Louis XV est de loin le plus répandu, plus ou moins
abâtardi. Il faut faire une différence entre le meuble d'époque Louis XV, rare
dans les milieux paysans, et le meuble de style Louis XV, qui a fleuri pendant
tout le 19ème s., largement exploité par les menuisiers locaux.
Les pieds des armoires et des buffets sont moulurés en S et les traverses inférieures
découpées, en accusant en leur centre une forme de V plus ou moins marqué.
Les corniches d'armoires et de cabinets sont droites, et la mouluration des
portes, parfois pauvre et grêle, est souvent dissymétrique.
Le style Louis XVI a relativement peu marqué ces meubles paysans, et se remarque par la présence de cannelures sur les montants, le dormant des portes et la traverse supérieure des armoires. Les sculptures des traverses inférieures ont transformé la Coquille Louis XV en ventail ou en panier fleuri Louis XV1.
Le style Empire n'a que très peu touché le meuble paysan.
Le style Louis-Philippe a laissé un grand nombre de buffets et armoires aux portes droites, sans mouluration chantournée, montées à plat contrairement aux portes Louis XV et Louis XVII qui elles, étaient montées en relief sur le corps du meuble, avec des charnières apparentes et de belles ferrures; corniches et tiroirs sont en doucine.
La marqueterie est relativement rare, mais elle existe parfois sur le dormant des buffets et des armoires, ou bien sur les traverses supérieures et inférieures : cœur, rosace, étoile à cinq branches, écusson entre autres motifs décoratifs.
LES SIEGES
Les BANCS accompagnent la table. Sans caractère remarquable, ils n'ont jamais de dossier et le plateau de certains d'entre eux peut atteindre 5 à 6 cm d'épaisseur.
Les "SELLES" sont de simples petits plateaux de bois monts sur trois pieds du genre tabourets .
La SALIERE est placée au coin de la cheminée : elle est soit en forme de fauteuil, soit de simple escabeau ou tabouret.
Les CHAISES, rangées le long des lits, qu'elles soient d'adultes ou d'enfants, sont dites "tissées de jonc".
Le FAUTEUIL peut être présent, lui aussi "tissé de jonc", du style fauteuil bonne-femme.
LA MAIE
Ce meuble, la plupart du temps en cerisier, plus rarement en chêne ou en bois mêlés, est appelé "Pétrin" ou "arche à pétrir" dans les actes notariés. On en trouve deux modèles : un soubassement constitué de quatre pieds verticaux que peuvent réunir des traverses supporte un bac trapézoïdal amovible; le piétement peut faire corps avec le bac dont le dos est alors vertical. Le couvercle est simplement posé par-dessus. Dans le soubassement, on peut trouver un petit tiroir. Beaucoup plus rarement le volume entre les pieds est clos de façon à ménager un petit placard à deux portes moulurées. En dehors de sa vocation première de pétrin, la maie pouvait servir de garde-manger.
LA TABLE
Son emplacement est toujours au centre de la salle, parallèlement ou perpendiculairement à la cheminée. Jamais elle n'est appuyée contre un mur. Dans les actes notariés, la mention de table à tréteaux est extrêmement rare, alors que, au XVIIème s. ce modèle était le seul connu. Au cours du 18ème s. et surtout du 19ème s. la table dite "table de ferme" le remplace. On la décrit comme "une table de 6, 8, 10 couverts" et ce n'est que très rarement qu'on l'appelle table à repaître, ce qui était usuel au 18ème s. Cette table est généralement en cerisier, avec parfois un plateau de chêne : "table en madriers, en chêne". Les quatre pieds sont réunis par des entretoises en forme de H et il existe deux tiroirs aux extrémités, parfois un autre au centre. Dans ces tiroirs, on rangeait les fourchettes de fer, les cuillers d'étain, les couteaux de boucherie. Au-dessus de la table était accroché aux poutres le râteau à pain.
LE BUFFET ET LE VAISSELIER
Ces deux meubles sont souvent fabriqués pour aller ensemble, donc le bois et le style sont semblables, bien qu'il arrive qu'une nette disparité existe entre ces deux éléments mariés ensemble, ce qui est moins harmonieux. Dans les inventaires, le buffet bas à deux portes est fréquemment appelé ''commode", et on peut lire : "une commode en cerisier aux trois-quarts usée ayant deux portières et une serrure"; "une commode en bois de cerisier ayant deux portes et deux tiroirs fermant clef, surmontée d'un vaisselier à deux étages, le tout en bois de cerisier demi-usé". Le buffet possède deux portes séparées par un dormant, deux tiroirs ou un seul pris dans la ceinture. Il existait de petits buffets à une seule porte et un tiroir, du style confiturier, mais beaucoup plus rares. Le vaisselier comporte généralement trois étages. Certains n'en ont conservé que deux, le troisième ayant été scié lors d'un ancien déménagement, afin de pouvoir faire loger le meuble sous un plafond trop bas. Ce vaisselier est indépendant du buffet sur le plateau duquel il est posé, et tient en équilibre grâce des patins latéraux découpés. A la base, il comporte très souvent deux tiroirs montant jusqu'au niveau de la première étagère et ménageant une niche au centre. La vaisselle, assiettes et plats, tiennent penchés vers l'avant, appuyés sur la barre moulurée de bois, soutenue par de petites balustres découpés ou tournés et généralement au nombre de cinq. Pratiquement, toute la vaisselle de la ferme est rangée, ce qui représente un nombre très limité de plats et assiettes.
LE COFFRE
Il n'est pas un inventaire où ce meuble ne soit cité, et souvent en plusieurs exemplaires, Il est en cerisier, plus rarement en chêne. Son aspect ne varie guère : sorte de caisse allongée à pieds droits, dont la base est ornée d'une grosse mouluration en saillie. Une autre moulure, nettement plus étroite, coupée au milieu de la façade par un V renversé, l'orne aux trois quarts de sa hauteur. Pour les coffres de style Louis XIII et Louis XIV, cette moulure est dite "en chapelet" car forme de menues demi- boules de bois unies les unes aux autres. Lecoffre ferme toujours clef et son entrée de serrure est plus ou moins joliment forgée. On trouve à l'intérieur, à gauche, une boite à couvercle destinée à recevoir quelques objets précieux ou de l'argent. Ce meuble était réservé au rangement des vêtements et du linge. On peut trouver dans les greniers des coffres à grain, qui ne sont que de simples caisses munies d'un couvercle.
C.
Fils
L'ARMOIRE ET LE CABINET
Le cabinet est plus fréquent que l'armoire. Les inventaires en mentionnent de simples : deux portes superposées avec un tiroir au milieu; ces meubles peuvent être d'un seul corps ou à deux corps. Dans le modèle le plus ancien, de style ou d'époque Louis XV, le corps supérieur est en retrait par rapport au corps inférieur. Pour les modèles tardifs, les deux corps ont le même volume et les mêmes proportions, ce qui est infiniment moins élégant. L'existence de "l'homme-debout" est rare. L'armoire est moins fréquente que le cabinets et on n'en trouve mention que dans le quart des inventaires concernés. Comme le coffre, elle contient les vêtements et le linge de maison dont la quantité est très variable.
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C. Fils |
LE LIT
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Les inventaires de cette région
limousine confolentaise citent deux modèles de lits : le lit à colonnes
ou à quenouilles et le lit la duchesse. Sous l'appellation de lit
à la duchesse, les inventaires englobent souvent deux types de lits
: le vrai lit la duchesse dont le ciel est de la même dimension que le lit
et accroché aux poutres du plafond, et le lit "demi- colonnes', qui fréquemment
n'est qu'un ancien lit à colonnes dont les quenouilles du panneau
du pied ont été sciées; dans ce cas, le ciel du lit
n'est accroché aux poutres qu'à ce niveau. Est également cité le "lit à
l'ange", qui appartient à la seconde partie du 19ème s. Il
possède un ciel plus petit que le bois de lit, ce qui donne aux rideaux
la forme d'une sorte de tente, alors que pour le lit à la duchesse,
ceux-ci retombent verticalement. Dans les actes notariés et leurs inventaires,
on trouve mentionnés ensemble le lit à colonnes et le lit à
la duchesse. Tous deux sont donc typiquement paysans au 19ème s.
Pour monter dans ces lits qui sont hauts sur pieds, il n'y a jamais de coffre
ni de marche- pied. Tous sont mentionnés en cerisier et d'une facture très
simple. Il est rare de parvenir à en découvrir de nos jours, car
il semble que tous aient disparu des intérieurs paysans les plus archaïques.
Ce sont pourtant de belles pièces pour antiquaires et ils peuvent se marier
parfaitement avec un mobilier Louis XIII. La literie du châlit comprend
: - une paillasse en "Coutil de pays" ou en toile carreaux. - un lit de plume que l'inventaire estime au poids et que remplace parfois une "ballasse" bourrée de balle de céréales. - un traversin et des oreillers enveloppe de "coutil de pays" ou de "coutil de Flandres". - des draps. - des couvertures de coton, de laine blanche ou bleue, de laine verte avec une large bande noire. Il existait des couvertures "faon de Catalogne" qui sont rares dans les inventaires. - couvre-pied et un édredon. |
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Fils Dumas-Delage |
La garniture du lit comprend le ciel avec ses pentes, le dossier, les rideaux (les courtines la courtepointe qui peut être en indienne pique. Les tissus de cette garniture, variés, ne sont pas toujours assortis. Citons cet égard quelques passages d'inventaires : "une garniture d'indienne rouge avec des rideaux en coton carreaux rouges", "ciel, dossier d'indienne de couleur vineuse, tour et rideaux de ras vert", "lit avec tour de ras vert, rideaux en droguet jaune, ciel et dossier en papier". "lit avec pentes, ciel en indienne pique, bonnes-grâces et rideaux en droguet jaune", le ciel, parfois en planches, servait d'étagère. On ne trouve aucune mention d'objets de piété accrochés près du lit.
L'HORLOGE
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Les inventaires mentionnent souvent sa présence
dans le logis paysan, bien que son prix soit élevé : de 30
à 50 F. Elle ne présente aucun caractère régional c'est la grande "comtoise" à la caisse violonnée, très rarement droite, munie d'un balancier et d'un tour de cadran en cuivre estampé. La caisse de sapin est décorée de motifs floraux plus ou moins riches, sur fond de peinture faux-bois. Ce décor est réalisé à la peinture la colle. Il a existé quelques rares horloges dont la caisse de noyer était de fabrication locale. |
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C. Fils |
LE BERCEAU
C'est une simple caisse monte sur des patins courbes et dont les montants droits se terminent par des sortes de petites quilles. Par des trous percés dans les côtés, on passait des lanières de tissu afin de bien attacher le bébé. On semble ignorer le berceau accroché à un support de manière l'élever au-dessus du sol.
LE BLUTOIR
Ce meuble est présent dans tous les foyers paysans et généralement placé au grenier. D'un travail de menuiserie très simple, il est pourtant en cerisier. Vidés de leur mécanisme, certains furent reconvertis en buffets. Dans les inventaires étudiés, il n'est fait mention d'aucun livre, aucune gravure, aucun instrument de musique; il en est de même pour le matériel de filage : ni rouet, ni quenouille, ni fuseau.
Sources : Ethnologia N01-2 1977. "les biens meubles d'une ferme confolentaise au 19ème s." par M. Pierre Boulanger.